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  • encremalouine

Boualem Sansal au-delà du politiquement correct

J’ai rencontré Boualem Sansal aux Etonnants Voyageurs.


Il a un sourire empreint d’humanité, des cheveux rattachés sur la nuque, une voix grave qui troue le silence, laissant tomber des mots qui font frissonner. Pas étonnant qu’il ait été limogé pour ses écrits et prises de position. Pas étonnant non plus qu’il ait écrit en 2008 Le village de l’Allemand, deux fois récompensé.


Le village de l’Allemand fait partie des textes que l’on n’oublie plus, et qui hantent la mémoire longtemps après leur lecture. Boualem Sansal n’est pas non plus quelqu’un que l’on croise , il est celui qu’on rencontre définitivement au détour de sa vie. Lisez l’histoire des frères Schiller : la vérité qu’elle délivre charrie des braises qui brûleront éternellement nos incorrigibles consciences , impuissantes à tirer des leçons de l’Histoire.


C’est le journal des frères Schiller, Malrich et Rachel Schiller. En fait, ces deux frères, de père allemand et de mère algérienne, flottent entre deux identités, qui affectent déjà leur nom : le premier, c’est Malek et Ulrich, condensé en Malrich, et le second, c’est Rachid et Helmut, devenu Rachel. Nés à Aïn Deb, ils seront bientôt rapatriés en France chez Tonton Ali, un copain du bled, et Tata Sakina. Les chemins des deux frères se séparent bientôt entre Rachel l’intello, et Malrich, le gentil raté, immergé dans la vie de la cité à la périphérie de Paris, où l’Islamisme monte entre les murs et fermente dans les caves. A 25 ans, Rachel obtient la nationalité française. Tout pour être heureux … Sauf que 8 ans plus tard, le 24 avril 1996 à 23h, après avoir sillonné l’Europe et l’Afrique du nord , il met fin à ses jours. Désormais, pour comprendre ce frère dont il n’a jamais été proche, Malrich n’a que son journal, remis par Com’Dad, le commissaire de police, qui ajoute à son intention : « C’est le journal de ton frère … Faut lire, ça te mettra du plomb dans la tête. Ton frère était un type bien. » Alors Malrich va à la rencontre de ce » type bien « , via les mots de son journal. Il apprend peu à peu avec effroi ce que son frère a appris un peu plus tôt et qu’il n’a jamais dit, sauf dans quatre gros cahiers chiffonnés qu’il lui lègue en héritage. Avant, la vie de Rachel, c’était « du papier musique, il suffisait de tourner la manivelle ». Avant … mais avant quoi ? Avant ce 25 avril 1994 20h, où il apprend au JT la tuerie d‘Aïn Deb où ses parents ont été massacrés. C’est le retour aux sources et la révélation de l’infâme : son père, le cheik Hassan, venu s’établir à Aïn Deb, converti à l’Islam en 1963, ancien moudjahid, martyr du village, est un criminel de guerre nazi, qui aurait été pendu si la justice l’avait retrouvé. Type formidable, héros de la révolution algérienne, mais exterminateur du peuple juif. Désormais, tout bascule dans la vie de Malrich, qui marche dans les pas de son frère, et endosse après lui cette vérité de braise : ils sont les fils d’un assassin. Alternant le journal de l’un avec la vie de l’autre, Boualem Sansal construit lentement cette impossible catharsis des fils inexorablement condamnés par le crime de leur père. Il n’existe pas de langage pour exprimer l’indicible, et Rachel découvre, sur les lieux-mêmes de l’extermination, dans le lager des femmes à Birkenau, que l’horreur dépasse l’entendement pour qui ne l’a pas vécue, et qu’il ne pourra donc pas expier, encore moins connaître la rédemption. Même si, dans une scène bouleversante, il demande pardon à cette vieille femme, ancienne déportée, qu’il croise dans le lager, même si elle s’étonne « C’est la première fois que quelqu’un me dit pardon », même s’il lui ment, même s’il se ment , même s’il se donne la mort pour réparer la honte, même s’il se gaze pour devenir la victime expiatoire de son père qui a gazé des millions d’innocents, rien n’effacera jamais la tache originelle : il est le fils d’un assassin. Dans un hallucinant trompe- l’œil, Boualem Sansal surimpose l’histoire ancienne et l’histoire contemporaine : l’Islamisme est-il si différent de la solution finale, dans sa volonté de détruire les Kouffars, le lihoudi, juif galeux, et tous les autres qui se dressent contre la dictature de l’Intégrisme ? Nouveau visage des camps de concentration, ces cités où l’on a peur, où l’on s’épie, où l’on agonise, tandis que les Kommandos de la mort se préparent dans les camps afghans à la destruction de l’humain. Si c’est un homme, il ne faut pas l’acquitter. Les camps ont eu raison de Primo Levi, 42 ans après sa libération. Le crime contre l’humanité de Hans Schiller, en détruisant son fils aîné, ouvrira-t-il à Malrich Schiller le chemin de la rédemption ? Lever le voile sur les terrifiantes visées de l’Islamisme est déjà un premier pas.

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